OPEN, à propos du Fiteiro Cultural

« J’ai créé le Fiteiro Cultural [Kiosque à Culture] à João Pessoa, au nord du Brésil, en 1998, lors de ma participation à un programme d’échange artistique entre la Suisse, le Brésil et la France. L’événement avait été conçu par deux artistes, favorisant de la sorte le fait que nous, invités, soyons sensibilisés grâce à une approche spécifique du travail à réaliser sur place : nous devions passer deux mois à João Pessoa, y vivre et produire un travail original.
C’est dans ce contexte que j’ai créé le Fiteiro Cultural, une œuvre en forme d’espace culturel idéal pour moi-même, un endroit qui puisse se transformer en atelier, en Centre de spectacles ou d’expositions, en scène de théâtre, en un lieu pour des rencontres intimes ou publiques, un espace de repos, de lecture et de réflexion. J’ai dessiné ce kiosque comme un espace à plusieurs ouvertures, configurations et positions possibles. À João Pessoa, j’ai également découvert que, contrairement au sud du Brésil, les kiosques étaient nommés “fiteiros“. Ce mot m’a intéressé pour plusieurs raisons, notamment la manière dont les commerçants installaient leurs “fiteiros“ :
Après avoir dépensé toutes leurs économies pour bâtir le “fiteiro“, pour obtenir les autorisations et installer leur petites échoppes éphémères, il ne leur restait presque plus rien pour acheter la marchandise à vendre. Ils ouvraient malgré tout leur boutique et attendaient le client qui devait les orienter en leur indiquant ce que le voisinage désirait ou ce dont il aurait besoin le jour suivant : services ou marchandises.
On y trouvait de tout: il y avait des “fiteiros“ qui réparaient les appareils électroniques, d’autres qui vendaient des pains de glace, qui assuraient des consultations médicinales et vendaient des herbes thérapeutiques ou des billets d’autobus. Certains avaient également du café et des petits gâteaux pour la consommation des passagers qui attendaient cet autobus. Le choix était déterminé par le biais de l’écoute et de la participation de la communauté où le “fiteiro“ s’installait.
C’est ainsi que j’ai baptisé mon œuvre Fiteiro Cultural. J’ai fixé des horaires d’ouverture qui me convenaient. J’ai choisi l’emplacement qui me plaisait le plus, la plage, et j’ai obtenu auprès de la mairie de João Pessoa les autorisations nécessaires afin de m’installer pendant un mois sur un terrain occupé auparavant par un fiteiro qui vendait des boissons et de la nourriture. Le premier jour de l’installation du Fiteiro Cultural sur la belle plage de Cabo Branco, j’ai immédiatement compris la raison de l’expulsion de mon prédécesseur.
L’explosion immobilière dans cette région entraînait une forte spéculation foncière qui se trouvait à l’origine de l’expulsion d’innombrables fiteiros, car les kiosques cachaient la vue aux nouvelles villas.
À ce moment-là, j’ai compris une des fonctions que peut avoir une œuvre d’art dans l’occupation de l’espace public.
Mon œuvre facilitait également mes relations avec mes collègues artistes suisses, français et brésiliens. De l’intérieur de mon espace, je pouvais les aider sur des questions de traductions, de compréhension des comportements, ainsi que pour l’obtention des autorisations dont ils avaient besoin pour réaliser leurs œuvres ou interventions. J’étais facilement localisable et disponible.
Pour moi, cette période a été belle et riche en réflexions. Pourtant, je ne me rendais pas compte, à cette époque-là, de l’importance que cette œuvre allait acquérir, ni du potentiel qu’elle recelait. De 1998 à ce jour, 2005, j’ai réalisé le Fiteiro Cultural dans sept villes différentes : Athènes, Sion, New York, Erevan, La Havane, Lisbonne et São Paulo. Dans certains endroits, plus d’un kiosque fut construit à la fois. Dans le cas du SESC de São Paulo, pas moins de sept Fiteiros Culturais ont été implantés simultanément en des points stratégiques de la ville et de la banlieue. À chaque nouveau Fiteiro Cultural, je découvrais un endroit, une institution, une culture différentes. J’ai également découvert des façons très différentes de construire l’œuvre selon l’endroit où je me trouvais, que ce soit en raison du type de bois disponible sur place ou du mode de construction local. Mais j’ai surtout vécu un nouveau type de collaboration avec des artistes qui m’ont proposé des stratégies et des perspectives d’interprétation inédites.
Le Fiteiro Cultural est une œuvre en constante mutation: il n’y a ni début ni fin. Il n’y a pas d’évolution, ni de forme idéale. La découverte de l’autre fait partie intégrante de l’œuvre. C’est ce que j’entends par “sculpture sociale“. Le Fiteiro Cultural est un “non-lieu“ qui, pour pouvoir exister, dépend de la communauté où il est implanté. À chaque installation, il me rend spectatrice de ma propre œuvre.
C’est pour cette raison que je propose ce livre. L’éditeur et moi-même avons invité à témoigner des artistes, commissaires d’exposition et institutions qui ont participé aux voyages et aux rencontres suscitées par cette œuvre. Pour moi, tout ce qui a rapport au Fiteiro Cultural vaut la peine d’être exploré, que ce soit par le biais des traductions de son nom en plusieurs langues, par l’impossibilité de son installation dans certains endroits ou par les problèmes engendrés par certaines activités proposées. Il y a aussi le véritable et le faux Fiteiro Cultural, la réception plus ou moins positive selon les endroits où il est implanté, les changements de fonction proposées par les communautés locales qui l’utilisent, les transformations de sa structure ou de son image. Le Fiteiro Cultural m’aide à comprendre ce qui est et ce qui n’est pas la responsabilité d’une œuvre d’art.
Tous les aspects m’intéressent. »

Fabiana de Barros