OPEN: Kiosque à Culture selon Antonio Zaya

OPEN : Le Kiosque transformiste et sans fin de Fabiana de Barros
Un texte d’ Antonio Zaya

Le Fiteiro Cultural [Kiosque à Culture] de Fabiana de Barros a été installé dans différents contextes culturels et sociaux depuis qu’elle a élargi l’expérience des plages brésiliennes pour installer des Kiosques à Athènes (Grèce), à Erevan (Arménie), à Sion (Suisse), à New York (USA), à La Havane (Cuba) et à São Paulo (Brésil). Il s’agit, à mon avis, d’une construction polyvalente qui a des facultés de caméléon, et qui est capable de changer de fonction selon le contexte, tout en tenant compte (et je me souviens de la philosophie soufiste) du lieu, du temps et des gens. La réalisation in situ de cette construction fonctionnelle, et sa signification d’après son architecture, permettent-elles de penser à une œuvre ouverte, capable de se modifier elle-même grâce à sa faculté d’adaptation? Et est-elle, grâce à sa signification, capable de migrations alors que son apparence reste intacte?
Le fait de s’approprier cette construction anonyme, expression populaire des plages, me rappelle inévitablement la genèse conformiste du ready made, c’est-à-dire un support et contenant ouvert à des actions postérieures organisées et réalisées par autrui qui finalisent l’œuvre. Pourrions-nous dire que Fabiana explore autant la question du droit d’auteur de cette œuvre, dans ce cas anonyme, que le caractère collectif de son développement? Dans quelle mesure l’appropriation est-elle légitimée par l’anonymat?
Le Kiosque à Culture de Fabiana a effectivement servi de support et de contenant à différentes activités sociales de Gitans (Athènes), à des actions créatrices de graffiteurs (New York), à des interventions artistiques de collègues (Sion et La Havane), et même aux activités récréatives et pédagogiques des enfants (Arménie, La Havane, Sion, Athènes). Ce caractère polyvalent et ouvert n’implique-t-il pas de reformuler l’acte artistique?
Tenant compte de l’exploration du social dans les dynamiques interactives des œuvres précédentes et postérieures de Fabiana de Barros – je pense concrètement à « VULNERABLES » pour internet et à « AUTO PSi » – et considérant le retour de l’esthétique dans le questionnement actuel sur l’instrumentalisation socio-politique de l’art, pourrions-nous considérer cette œuvre spécifique du « Kiosque » comme quelque chose d’autre qu’une œuvre d’art?
Ne serait-il pas pertinent de considérer tous les éléments qui interviennent ici comme étant propres à l’architecture et à sa fonction?
Ces mutations et ces migrations de sens ne déterminent-elles pas le caractère ouvert jusqu’à l’imprévisible de cette œuvre désormais inachevée en permanence et l’impossibilité de lui donner une seule signification?

L’œuvre de Fabiana de Barros est ouverte à tous les procédés visant à son altération et, généralement, à toute intervention négociée après son installation. Elle est ouverte à toute réponse et à toute question.
Le Kiosque de Fabiana de Barros est une œuvre toujours susceptible d’être transformée, dans sa fonction comme dans son usage. C’est aussi une œuvre qui est définie par un sentiment éthique dont Fabiana est l’héritière, activé par le binôme artistique et social où cette œuvre se situe et où Fabiana est le plus à l’aise.
Avant tout, son travail peut être compris comme une pratique de communication avec le corps social, à travers différentes voies qui stimulent directement des dynamiques d’échange et de libre communication. D’abord avec Internet (« vulnerables.ch »), puis avec le Kiosque à Culture, et tout dernièrement avec un taxi pour conteurs (« AUTO PSi », réalisé avec le cinéaste suisse Michel Favre, son mari). Fabiana de Barros dispose et active les moyens nécessaires au déclenchement d’actions d’art et de culture, que ses œuvres réclament pour pouvoir fonctionner. Il s’agit de créations où le déplacement et le voyage sont primordiaux, étant donné que l’œuvre n’a pas de frontières théoriques pour son installation et son occupation. Car il ne s’agit pas d’une œuvre achevée, effacée, fermée et stable, mais plutôt d’une œuvre qui se construit par étapes, qui est prise dans un processus transformiste, qui se camoufle dans son contexte, quel qu’il soit, et qui sert de support variable à de multiples actions, natives et projetées, internes et externes, publiques et privées, conflictuelles et éducatives. Dans ce sens, le Kiosque de Fabiana de Barros est une œuvre sans fin, unique et vivante au travers de sa pluralité, et aussi multiple qu’ouverte à l’autre.
À New York, le Kiosque à Culture se trouvait sur le trottoir devant ce qui était à l’époque le siège de la galerie Martinez, dans la rue West de Brooklyn, au bord de la rivière. Il a servi de support à une “attaque” consentante de sa structure, avec la participation de dessinateurs de graffitis renommés à New York, parmi lesquels l’illustre maître Coco 144, ou d’autres tels que Nato, Mosco et Earsnot. Bien que le Kiosque à Culture ait été retiré du trottoir devant la galerie pour cause de stationnement illicite sur la voie publique dû au manque d’autorisations légales, il a étonnamment et heureusement survécu durant un week-end, juste le temps suffisant pour que les artistes de rue mentionnés puissent intervenir et y trouver un dialogue avec les autres artistes du projet, Mona Marzouk et Charo Oquet.
À la Havane, au contraire, le Kiosque à Culture fut officiellement installé dans le « El Solar de la California », dans le cadre des activités de la 8º Biennale de la Havane, et a servi de support pour les actions de différents artistes invités comme Betsabe Romero et son atelier d’estampage, ainsi que pour des interventions d’enfants du voisinage et diverses autres activités.
Ces deux installations, celles de New York et de La Havane, ainsi que le projet pour la revue Atlantica (également réalisé avec Michel Favre), mettent en exergue l’évolution caméléonesque de cette œuvre. C’est la raison pour laquelle j’ai invité Fabiana à participer, à la fois directement et indirectement, à ces projets collectifs de New York et de la Havane, avec la conviction qu’il s’agissait d’une œuvre paradigmatique par ses caractéristiques propices à l’établissement de multiples connexions avec des contextes et des scénarios inattendus, comme ce fut également le cas en Arménie, avec les enfants, à Athènes, avec les Gitans et dans les autres lieux rassemblés dans cet ouvrage.

Le Kiosque est une œuvre qui se multiplie et qui voyage. Mais, au-delà de son caractère public et actif, le Kiosque de Fabiana de Barros a une dette envers l’esthétique constructive et pratique de son père, le célèbre artiste brésilien Geraldo de Barros. Peintre, photographe et designer de meubles, il donnait à l’éthique un rôle essentiel, dont Fabiana de Barros a hérité et qu’elle met en pratique aujourd’hui. Par conséquent, le Kiosque représente un cadre, une architecture, une machine de communication culturelle ouverte au contexte dans lequel il se trouve.
En faisant partie de mon projet « Noviembre Publico » (2002) à New York, le Kiosque à Culture a été confronté à l’espace public et privé sur le trottoir d’une rue de Brooklyn.
Ce projet new-yorkais impliquait donc pour Fabiana de Barros un renouement avec ses racines expressives et avec les rues d’une grande ville. À ce propos, il faut en effet rappeler que c’est en réalisant des graffitis sur les murs et les édifices de São Paulo qu’elle s’est initiée à l’Art Public. En ce qui concerne La Havane, le Kiosque de Fabiana de Barros a attiré l’attention de la Biennale, de la ville et de ses illustres visiteurs, en dynamisant le programme du « Solar de la California », au point de devenir l’un des centres les plus remarqués et attractifs de cet important rendez-vous international.
Le Kiosque n’est pas une œuvre destinée au musée, du moins pas pour son intérieur. Le Kiosque est un artefact pensé pour des espaces ouverts, pour la rue, pour le voisinage, pour l’extérieur, car il transforme ses fonctionnalités intérieures et extérieures selon la mission qu’il accomplit.
Le Kiosque est une œuvre ouverte et sociale, mais aussi pratique, d’utilisation multiple, individuelle ou collective, car c’est un espace actif et passif en même temps. Et quand le Kiosque se présente « passivement » comme une œuvre d’art, on apprécie autant son langage formel que son espace intérieur prêt à accueillir d’autres contenus et d’autres fonctions qui meublent son vide actif.
En fin de compte, le Kiosque représente aussi l’emblème populaire des plages brésiliennes, liées aux origines de Fabiana, où elle se baigne encore aujourd’hui. Le caractère pop de ses œuvres est directement lié à l’importante influence du travail de son père sur son propre travail – tel que je l’ai déjà mentionné – du moins pour le caractère social, public et constructif auquel il fait référence.
Le Kiosque est le résultat d’un choix bien réfléchi pour une intervention publique qui s’approche du social, précédé en cela par « vulnerables.ch » (pour Internet), et qui annonce ou anticipe l’œuvre « AUTO PSi », (une sorte de Kiosque mobile se déplaçant en taxi). Le Kiosque, en définitive, est un art intégral, constructif, étonnamment utile, au service de ses propres fonctions transformistes et de ses futurs développements imprévisibles.
Pour cette raison, une véritable œuvre d’art ouverte comme le Kiosque ne doit pas avoir de fin. Dans ce sens, OPEN reflète uniquement le processus vers une autre fonction, un autre lieu, un autre temps…